Conter sur Internet ?
Nous allons tous être heureux de sortir de ces longues semaines de confinement, nous espérons que tout va bien se passer, et surtout qu’il n’y aura pas de « rechute » !
Nous pourrons enfin organiser des petits rassemblements, pas plus de 10 personnes, avec distances de sécurité respectées, sinon avec port du masque. Cela ne fait pas beaucoup de personnes, cela ne sera pas simple à mettre en place, mais c’est mieux que rien… Et avec un groupe de 9 personnes, plus le conteur ou la conteuse, il est tout à fait possible de dire joliment un conte, et ensuite, le nombre restreint de personnes favorisera des échanges sur le conte, sur son sens et sa symbolique.
Bien sûr qu’il sera possible, même avec les fameux « gestes barrière », d’avoir un échange véritable, vivant et authentique ! Des échanges de regard à regard (puisque nous ne verrons plus les sourires sous les masques, nous allons apprendre à sourire avec les yeux), de voix à voix (puisque nous ne pourrons plus nous toucher avec les mains, nous allons apprendre à nous toucher avec la voix), de cœur à cœur (puisque nous ne pourrons plus nous embrasser avec les corps, nous allons apprendre à nous embrasser avec le cœur).
Et c’est bien de ces échanges charnels, sensoriels et émotionnels authentiques dont nous avons soif, et dont les écrans nous ont cruellement privés depuis mi-mars ! Nous avons vu déferler sur Internet une multitude de contes enregistrés, transmis par le biais de mauvaises caméras et de mauvais micros, filmés dans des conditions très artisanales, tellement éloignés de ce que peut être l’expérience véritable d’écouter un conte « en live », ce qui signifie, ne l’oublions pas : en vie !
En effet, pour apprécier un conte, il est indispensable de l’entendre ici et maintenant, dans un échange direct et unique, non seulement avec celui ou celle qui conte, mais aussi avec ceux qui, autour de nous, écoutent et réagissent au conte. Et cette qualité tellement spécifique, vieille comme le monde, est bien la première qualité du conte dit devant une assemblée d’êtres vivants.
Pour étayer mon propos, je m’appuie sur un extrait de la pensée du jour d’Henri Gougaud, en date du 8 mai. Voilà ce que nous dit Henri Gougaud, un de ces "vieux conteurs" qui savent de quoi ils parlent :
« Et aujourd’hui, aujourd’hui que tout rutile, braille et se hisse au pinacle, éclate, se défait et nous vire la tête en tous sens, comme ils paraissent dérisoires, les vieux conteurs qui nous ont dit ce qu’ils savaient ! Comme ils sont méprisables auprès des grands acteurs des scènes mirifiques ! Comme ils sont minuscules ! »
En effet, comme il est difficile de faire entendre à nos contemporains que les contes vieux comme l’humanité sont la source d’inspiration des plus grands textes poétiques et philosophiques jamais créés par les hommes !
Alors, il nous vient un espoir secret : l'espoir que, pour les mois à venir, puisque les grands rassemblements estivaux, les grand-messes de la culture qui couvrent de leur tintamarre l’actualité du spectacle vivant seront empêchés, cela pourrait permettre à des initiatives locales modestes et discrètes, habituellement ignorées, d’être vues, entendues et appréciées.
C’est pourquoi nous allons reprendre, dès que possible, en tout petit comité, nos soirées contes chez l’habitant, ou nos balades contées dans les rues des petites villes de nos départements ruraux, ou des ateliers contes et philo avec les enfants, bien sûr dans le respect très strict des « mesures de sécurité » et des « gestes barrière », mais animé(e)s par une inextinguible soif de relations vraies et fécondantes.
Pour conclure, un dernier extrait de la pensée du jour d’Henri Gougaud citée plus haut :
« On ne mesure pas l’importance d’une parole au bruit qu’elle fait mais à ce qu’elle éveille. Soyons fiers de n’être pas assourdissants. Nous sommes gens de vie, plus que gens du monde. Plus vaste que tous les mondes est la vie. »
Pour la Compagnie Rouleparoles, Nell MÜH